ou Le Naufragé de la Légende
jeudi 26 mai 2011
Le Naufragé et Johnny Lemonade
Les murs sont tous blancs ici, ce qui est idéal pour faire des dessins sur les murs. Il y en a un, au moins, qui en profite au maximum. Instantanément attiré par les créateurs visuels, je me suis présenté à lui pendant qu'il terminait une murale de dix pieds par quarante. John, qu'il s'appelle. Il m'a montré ses dessins plus personnels, dont son préféré, un super héros nommé Johnny Lemonade. Les peintures, et autres dessins abstraits, ça va. Mais les super héros... Vraiment, c'est pas ma tasse de thé. Et pourtant, ses yeux brillaient d'émotion devant son alter égo en spandex qui envoyait des tranches de citron dans les yeux de ses ennemis...
Je lui ai raconté mon histoire, pour essayer de le sortir de son univers impossible, et lui ai demandé s'il voulait bien créer une bande dessinée avec mes aventures. Avoir su plus tôt que le réel l'emmerdait autant, j'aurais sonné un autre timbré. J'étais si enthousiaste à l'idée d'avoir une bédé basée sur ma vie qu'il a finit par céder. Mais pour mon plus grand malheur.
Voyez-vous, si John a un talent de génie pour les trucs improbables et complètement loufoque, sa vision du monde réel au delà des murs de l'hospice réduit à néant son envie de créer. Bref, me voilà non pas avec dix chapitres comme prévu, mais avec seulement sept parties, et le style... Je vous dis pas à quel point c'est nul. Vraiment. Parfois, il n'y a que deux ou trois lignes avec une courte phrase. Lui, passe son temps à me dire "Ta vie, c'est n'importe quoi... Ça vaut pas la peine de s'y intéresser pour plus que deux coups de crayons. Au pire, si tu veux les vendre, tu diras que c'est du minimalisme. Les gens dehors, ils aiment prétendre que le minimalisme, c'est la nouvelle tendance... Et après ça, c'est moi qu'on traite de fucké."
John a les yeux vitreux en permanence et nie son talent à chaque fois qu'on le ramène à la réalité. Voilà un bien triste personnage qui aurait bien mérité un voyage pour voir toute la beauté qu'offre le monde extérieur. Mais il préfère rester ici, confortablement nourri et logé gratuitement, à coup de réprimandes une ou deux fois par jour. "Faut être cérébralement atteint pour vouloir quitter une place comme ça pour un demi sous-sol infesté qui coûte les trois quarts d'un salaire obtenu au bout de son sang dans un boulot qui te fait vomir à chaque heure de ta vie." Et bien, tant mieux pour lui... Je préfère davantage être accepté socialement que de pourrir dans un trou à fou et d'être pointé du doigt comme tel.
Qu'il crève, ton Johnny Lemonade, avec ses dessins pouraves de mes magnifiques aventures! Il te plaindront bien quand je leur montrerai tes pitreries.
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